Paname orchestra

Paname orchestra

Texte de Léo Ferré

Nous nous sommes quittés le 8 décembre 1975, à minuit et des poussières. Nous nous retrouverons un jour... Où ça ? Dans une lointaine galaxie. Les rossignols tout glacés de cette fin d'année 1975 sont intervenus auprès de moi et me disant que le chant réverbéré de leur prochain printemps ne se ferait pas sans votre flûte, Madame, sans votre flûte aussi, Monsieur. Sans ton hautbois triste et hautain, sans ton cor anglais vertigineux - pas comme celui de Liège qui me disait, en transposant à l'ottava bassa la phrase casse gueule de LA MORT DES LOUPS : " On ne sait jamais ce qu'il va sortir de là-dedans".... - sans tes clarinettes en LA et en SI b, sans ton fagotto et ton contrafagotto, sans vos Cors en Fa bien astiqués et bien cuivrés, sans vos trompettes de l'Apocalypse du Palais des Congrès à Paris, sans vos percussions, vos glocks, vos cymbales et ton vibra tout doux vers les musiques en allées, sans vos tambours, que sais-je ? Sans vos discours tapant, vibrant, tonitruants... Muss Es Sein Es Muss Sein...

Et vous la harpe comme ces cheveux de femme qu'on peut transposer facile lorsqu'ils sont enharmoniques, et vous les Primi et les Secondi, et les viole, et les celli, et les violinis gros comme des contrebasses...
Pasdeloup, je vous ai dans le coeur, et çà palpite, là-dedans, je vous le jure. Pasdeloup, j'espère que tu ne t'es pas trop ennuyé sous les orgues pas toujours en mesure de ce Paris que je quitte chaque fois avec ma ferveur italienne et mes soucis de copiste et d'imprimeur.
J'ai essayé de vous faire un matériel possible. Cela m'a pris beaucoup de temps. Et puis, au fait, qu'est-ce que c'est, le temps ? Un 6/8 ? Un 3/4 ? Un 5/8 plein d'Espoir ? Une page inutile de la MUSICA CONTEMPORANEA ? Il faut dire à Boulez de se faire les ongles ce sera toujours ça de gagné... Et puis ça grincera un peu moins. De toute façon, que ça grince ou non... Tu parles !
Il faut dire à qui donc, à quoi donc ? Au Palais des Congrès de faire déjà peau neuve ?
De nettoyer le piano de Monsieur BARIN-BOHIN ? Il faut dire à ceux de l'Orchestre de Paris qu'il pourrait peut-être y avoir un PANAME ORCHESTRA ? Why not ?

Je vous donne toutes mes clefs, Pasdeloup, en Sol, en Fa, en Ut 3me et 4me et 37me lignes - j'allais dire Rue, comme à New York - je vous donne toutes mes clefs pour ouvrir vos sentiments, des fois qu'ils soient un peu emprisonnés, vos plaisirs passant, vos cathédrales englouties, votre Beethoven de service, le dimanche, pour empêcher le client de dormir, Théâtre des Champs, entre deux conneries dodéCACOphoniques, vos départs imaginés vers des harmonies bien confortables et avec le congélateur, des fois que, l'hiver, les cerises ça serait plutôt rare, vos désordres cachés et puis l'ordre, Ton ordre, celui qui te ravit et qui ne regarde personne d'autre que toi, toi, toi.

Si vous voulez qu'on joue à chats perchés, je suis d'accord. Si vous voulez qu'on joue, en mineur, des Sérénades inventées après-demain matin, je suis d'accord aussi et vous n'aurez qu'à me faire signe, tout à l'heure, pendant le Solo du hautbois, au numéro 38 des AMANTS TRISTES. Vous me direz: "D'accord, Léo, nous, on te suit".
Et voilà.

Pasdeloup, je t'aime bien, tu sais !

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