Léo Ferré - Guillaume Apollinaire

Guillaume, vous êtes toujours là !

Texte de Léo Ferré

Depuis ce pays perdu dans des histoires fantastiques dont il a gardé le souvenir en Kostrowitzky jusqu'à Rome où il naît le 26 août 1880, depuis cette principauté de Monaco encore garantie dans le soliloque du tapis vert et où il fait ses études - lesquelles ? - au collège des frères des écoles chrétiennes, depuis cette semblance incontrôlée qui le protège et le désigne dans l'enfer de ces "anges maudits" qu'on appelle "poètes", depuis cette "demi-brume " londonienne où il reconnait son amour indompté dans ce "voyou " qu'il suit, peut-être, dans des cagibis à l'accent britannique, depuis enfin cette magnificence de la pensée fraternelle que le lecteur lui doit et lui accorde, qu'en est-il de Guillaume Apollinaire ?
Un dessin de Picasso en forme de cafetière et d'amitié retrouvée, qui sait ?

Léo Ferré - Guillaume Apollinaire

Alors que le coq a chanté et que le Pablo s'est soudain souvenu qu'il était là, à la promenade, avec Guillaume, pendant que l'alibi s'informait de sa prochaine inconsistance et que Saint-Pierre n'avait sans doute pour le christ qu'une dévotion bien apprise dans le don de soi et dans la méfiance du pouvoir judiciaire...

"Anges frais débarqués à Marseille hier matin
j'entends mourir et remourir un chant lointain
Humble comme je suis qui ne suis rien qui vaille
Enfant je t'ai donné ce que j'avais travaille. "

Comment peut-on raconter cet hôtel inquiétant où paraissent s'élaborer les destinées confuses de ces "pi-mus couples allant dans la profonde eau triste si l'on ne se persuade pas qu'Apollinaire n'est que le travers de cet instant fantastique et douloureux de la passe magique et qui se traduit par la folie de Shakespeare ou par la serviette nid d'abeille ....
Dans Roméo et Juliette, il n'est que William, dans La porte, il n'est que Guillaume.

C'est sa mère qui l'avait persuadé d'être cet employé de nuit dans un hôtel de Marseille et qui donne au lecteur des idées subversives et qui n'ont rien à voir avec les couples "pi-mus", ou passants, ou tarifiés par un secret désir de se transmettre au jour ou à l'instant présent.

La poésie est une voix d'outre univers et qui sommeille.
Parfois, elle descend dans des hôtels de passe.
Bienheureux couples vendus à ces parleurs d'un autre monde et qui nous réapprennent à regarder les étoiles comme des parleuses de nuit, dans des chambres horribles et revues ou corrigées par le génie d'outre là-bas !

Il y a dans Guillaume une source du mal qui nous arrache à l'absurde bêtise du
calendrier et de l'heure qui tourne et qui tombe aussi, et qui nous poursuit jusque
dans les rides calculées qui nous préservent de cette éternelle jeunesse
dont l'intelligence perspective n'a que faire. Ce mal, Guillaume le traverse
et en calcule les bienfaits et l'ardeur génésique jusqu'à se prendre sans doute
pour Kostrowitzky.
Il faut entendre le mal comme un bien nécessaire...

Voie lactée, ö soeur lumineuse...

Je t'engage, lecteur, à poursuivre cette "voie", à t'enchaîner à ce parler vertigineux
et qui nous apprend à penser le profond de ton être et à t'enseigner le discours
qui est au fond de toi, qui n'est qu'à toi et qu'un messager venu de Pologne
t'apporte comme une offrande en te disant :

"Ceci est à toi, dans toi et tu ne le savais pas
Moi, Kostrowitzky, je te le dis... "
Nageurs morts suivrons-nous d'ahan
Ton cours vers d'autres nébuleuses "

Je salue en Guillaume le noir évidemment de l'aurore et de la pensée,
quand la pensée se tourne et s'interroge, quand le drame quotidien
de l'outrecuidance et de ses attaches imbéciles se reprend doucement
et se tourne vers le non dit et l'incontrôlé.

C'est parce que la vie n'est pas digne d'être vécue que certains hommes la poursuive et la montre de leur génie en nous disant :
"Regardez, la vie n'est qu'une information biologique et qui m'indiffère..."
Moi, je serais plutôt du côté des amibes et de l'informulé.
Alors, ce que je vous envoie dire n'est qu'un peu de la vérité première qui me jaillit comme une source et encore...
La source est un mot bien à vous. Il vous sert. Il vous comprime dans l'habitude de recevoir et de croître. C'est peut-être cela l'indifférence confortable et syndiquée, pourquoi pas ?
Hommes de peu, homme de cette planète bienheureuse, soyez maudits à votre tour et soyez tranquilles, oui, car la malédiction qui vous concerne se traite
à coups de désirs et d'aventures télécommandées et dont l'absurdité n'est jamais
conforme aux désirs et aux aventures de vos contempteurs d'outre galaxie."
Guillaume ? Sa voix écrite et transmise n'est plus qu'un chiffre dans le désarroi
de notre condition. Les poètes meurent quand ils ne sont plus dictés par l'ineffable.
Salut, Guillaume! Vous pouvez dire à William que nous vous aimons bien.
Nous sommes très peu, d'ailleurs, à nous inquiéter du jour et du siècle de votre naissance. 1980 ? Tiens, vous êtes toujours là, et avec nous, et avec la terreur qui nous emplit de n'être que toujours là aussi ....

La vie est variable aussi bien que l'Euripe...

Illustrations :
copie du Portrait d'Apollinaire d' Irène Lagot
copie du dessin de Picasso : Apollinaire en cafetière

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