Léo Ferré - Léo Ferré ou l'astre de la liberté

Léo Ferré ou l'astre de la liberté

Texte de Claude Frigara
Extraits du livre : "Chroniques d'un âge d'or"
Collectif chanson - Christian Pirot Editeur

Le noir retourne au noir, la nuit recouvre les théâtres et l'ombre des colonnes antiques impavides s'habille d'or pour les vivants qui se veulent autres que de futures ombres.

Les courses de l'enfant, le vent sifflant la nuit à la fenêtre et soufflant dans le crâne, ont préparé en moi, confusément, les chemins de liberté de l'homme. Qui sait ? Elles m'ont aménagé peut-être des espaces, des neurones émancipés pour accueillir plus tard la chanson de la poésie. Plus tard, question poésie, ce fut le choc. D'avoir croisé par miracle les pas d'un géant, je suis resté dans l'émerveillement de ses découvertes. Et n'en reviendrai jamais. Le voyage fabuleux qu'il a inauguré dans une tête de vingt ans, depuis l'embarcadère où croissait ma jeunesse, ne s'achèvera que dans la nuit sans réveil. On dit : le noir. C'est dit, mais c'est un absolu de vie qu'il continue de prodiguer.

Ecrire sur lui, c'est tenter encore l'expérience des limites, avec conviction et circonspection. Avec en plus ce terme qui manque pour traduire en quelque sorte la proximité et le gouffre, tension dénouée dans le silence affectueux.

Ecrire sur lui et donc parler d'hier et d'aujourd'hui. Lui, c'est un sujet qui recouvre tous les sujets sensibles possibles car il incarne pour moi ce que les Anglais appellent the human touch et qui n'a pas d'équivalent dans la langue française. Quand un poète a du génie, sa dimension humaine transporte le lecteur dans l'universel. Mais d'où vient-elle, cette voix inouïe ? A vingt ans, je ne me souciais pas de le savoir. Le présent, offert alors pour sa part comme un cadeau (belle homonymie et juste), collait trop à mon époque, la vraie et la rêvée, pour que je m'attarde à chercher quelque rétroviseur.

Je n'ai su que bien plus tard, déjà à l'heure des nostalgies, que dans sa biographie tout commence en 1946 quand Léo Ferré monte à Paris pour vivre de la musique.

A cette époque-là, lorsqu'il s'est lancé à trente ans dans la vie d'artiste, on devait se demander si la poésie, la musique et toutes ces choses plantées au plus loin de la condition carnassière des mamifères, avaient survécu à l'horreur perpétrée par et contre l'espèce humaine. Après Buchenwald, Auschwitz, la poésie était-elle devenue une vieille habitude, une cérémonie pour assemblées de fantômes ou un "vice absurde", comme le suicide appelé de ses voeux par Cesare Pavese ?

Léo Ferré est un de ceux qui, en ayant su magnifier l'existence apportèrent de facto et de toute l'énergie de leur vie, une réponse des plus importantes. Il fut l'artiste même. Le feu et le souffle étaient bien là dès ses débuts en public et ses premiers pianos dans les cabarets parisiens. Mais aujourd'hui, que reste-t-il ? Tout ne s'arrête pas avec sa biographie, le 14 juillet 1993, à Castellina in Chianti en Italie.

Il nous a légué des centaines de chansons, des milliers de mots, des milliers de notes de musiques. Il nous a offert les armes de la poésie, le sentiment de la beauté, l'intelligence pour caresser le plaisir, le sens de la révolte pour tenir bon contre la domination, la connerie et toutes ces choses...

La parole de Léo Ferré, chantée, parlée, dite, écrite, elle est apte à nous accompagner intimement toujours. Et ceux qui la découvrent maintenant, quelle chance ils ont ! Dans ce monde envahi de tant de muselières, sa parole enchantée, oui, quelle chance !

Chaque jour, je m'en convaincs chaque jour, il existe une chanson de Léo Ferré pour aujourd'hui. Pour continuer la route avec lui. Avec Léo on n'est jamais seul. Léo est dans tout et tout le temps.

Sa poésie est un cri né d'une blessure vive, féconde et constructive.
Sa poésie est le féminin de l'amour. Quelle envolée, quand les images frappent juste au coeur du sens et de la rime. Et que le geste politique rejoint la parole poétique. Interprète et musicien de ses textes, il est le poète qui campe le réel, les bras tendus.

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