Léo Ferré - Les métamorphoses du vampire

Les métamorphoses du vampire

Poème de Charles Baudelaire
Musique de Léo Ferré

La femme cependant, de sa bouche de fraise,
En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise,
Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,
Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc :
"Moi, j'ai la lèvre humide, et je sais la science
De perdre au fond d'un lit l'antique conscience.
Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants,
Et fais rire les vieux du rire des enfants.
Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,
La lune, le soleil, le ciel et les étoiles !
Je suis, mon cher savant, si docte aux voluptés,
Lorsque j'étouffe un homme en mes bras veloutés,
Ou lorsque j'abandonne aux morsures mon buste,
Timide et libertine, et fragile et robuste,
Que sur ces matelas qui se pâment d'émoi,
Les anges impuissants se damneraient pour moi !"

Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,
Et que languissamment je me tournai vers elle
Pour lui rendre un baiser d'amour, je ne vis plus
Qu'une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus !
Je fermai les deux yeux, dans ma froide épouvante,
Et quand je les rouvris à la clarté vivante,
A mes côtés, au lieu du mannequin puissant
Qui semblait avoir fait provision de sang,
Tremblait confusément des débris de squelette,
Qui d'eux-mêmes rendaient le cri d'une girouette
Ou d'une enseigne, au bout d'une tringle de fer,
Que balance le vent pendant les nuits d'hiver.

--------- Pour ne pas oublier : Charles Baudelaire -----------

Léo, en préambule à la chanson "Les métamorphoses du vampire" raconte : (1)

".../...
Baudelaire a écrit Les Fleurs du mal en 1857. Trois mois après, au mois d'août 1857, il y a eu un jugement qui a expurgé, remarquez bien le nom : ex-pur-gé le livre de poésie de six poésies vraisemblablement cochonnes !(2) N'est-ce pas ? Hein! Cochonnes.
Et, en 1861, sont parues Les Fleurs du mal expurgées...
Eh bien, il y a une chose formidable, qu'il faut que vous sachiez !... Et puis, racontez-la aux gens... (On connaît des tas de cyclistes, des types qui font des courses en moto... On peut leur raconter, aussi, l'histoire de Baudelaire. C'est intéressant, non ?) Et alors, imaginez-vous, que... le jugement de 1857, a été (après appel, je suppose) cassé... vous savez en quelle année ? En 1949 !... Les juges, ils font peut-être des cochonneries, chez eux mais ils n'aiment pas les cochonneries que... Enfin, ce qu'ils prétendent être la cochonnerie ! C'est dégueulasse !
Et Il y a deux ans paraissait, chaque semaine, un opuscule qui s'appelait Les grands écrivains. Il y avait Balzac, Colette... J'en ai acheté quelques-uns. Et un jour est paru Baudelaire... Alors, il y avait un opuscule qui racontait la vie... Pour Balzac, il y avait Le Père Goriot... Pour les écrivains, il y avait toujours un petit bouquin accroché... Ca se vendait le jour, avec France-soir... le samedi, quoi ! Et alors imaginez-vous, que j'ai pris Les Fleurs du mal. J'ai cherché, moi,( forcément ça m'intéresse), j'ai cherché les poésies "cochonnes", hein ! Eh bien, elles n'y sont pas ! Formidable ! Et il faut que vous sachiez aussi que ces éditions... Ce "service pour la littérature" était sous l'égide de l'académie "CONcourt" ! Voilà ! "


Extrait du livre Vous savez qui je suis maintenant ?
de Quentin Dupont
édition La Mémoire et la Mer.

(1) lors du récital Léo Ferré chante les poètes au Théâtre Dejazet en 1986
(2) Les bijoux, Le Léthé, À celle qui est trop gaie, À la pâle clarté..., Lesbos et Les métamorphoses du vampire.

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