Léo Ferré
Léo Ferré - Le Palais des Congrès

Le Palais des Congrès - 1975

Extraits du programme

"TOUTE LA MUSIQUE"
DE BEETHOVEN ET RAVEL A LA CHANSON

1ère partie/

La vie d'artiste
Préface
Ouverture de Coriolan (Beethoven)
La chanson du mal-aimé (Apollinaire)
Love
Requiem

2ème partie

L'oppression
Les amants tristes
Muss es sein, es muss sein
La mort des loups
La solitude
Concerto pour la main gauche (Ravel)
L’espoir

La musique en allée la musique des ports
La musique de l'eau quand les oiseaux l'enivre
La musique du ciel à peine se couchant
Et celle des amants qui partent à l'automne
La musique des portes et celle des outrages
Celle des ennuis calmes avec le plein hiver
Quand la neige durcit sous l'autan qui la crève
Des flûtes des hautbois des cors englishs aussi

La clarinette basse comme une oie s'exilant
Dans l'éternel ennui des soleils relevés
Son cou dedans mon bec sur les marais musique
Des harpes là-dessus qui se défont des mains
Mains douces de l'humeur
Mains de Ravel manchot left hand
Dans cette année mil neuf cent trente et un
Six ans avant le basson jazzifiant
Six ans avant 37 et le 6/8 funeste
Battant sous la tumeur et la méconnaissance
Ravel manchot Ravel cafard dies irae
Et ces rondes d'enfant qui sentent négatif
Le sous et l'en-dessous toujours le moins
Dans cette nuit qui n'en finira plus
Des flûtes des hautbois des cors english ma foi
Des bassons souffreteux depuis l'aigu du Sacre
Sacré Igor tu vas décidant de son souffle
Regarde-le qui va crever regarde-le regarde...
Et le basson y va de son cri de pucelle
J'avais l'âge de Mathieusalem mon fils
Ohé! Mathieusalem!
Je dirigeais alors des orchestres fantômes
Et le batteur n'en croyait pas ses tambourins
C'était moi, le batteur, et puis le violoncelle
Et l'alto et la flûte et puis le cor anglais
J'inventais des sons vierges à la rue ma copine
Et j'étais seul sous le soleil ce Sun arbitre
De ma peau de chagrin juste bronzée
De ma peau de tambour juste ajustée
J'étais beau sous la Musique Mathieusalem
Ohé! Mathieusalem!
Si jamais tu t'entends de dedans la musique
Si tu te sens des voix te balancer super
Super beau super triste
Dément pourri de sons nouveaux
Ils sont nouveaux pardi puisque tu les inventes
Des jouets ? Mon jouet c'est Beethoven
Quand il croit que je joue

Et quand il joue quand il joue quand il joue
Vous qui jouez Beethoven...
Vous êtes Beethoven
Un orchestre comme une toile
Et je suis l'araignée
Géomètre et superbe
Glacée sous la droite et la gauche
Au fait O moi, l'araignée !
Où est-elle la droite ? Où est-elle la gauche ?
Comme dans ces galaxies encore à inventer
Tu pourras leur apprendre l'amour, les sortilèges,
les fruits débordant de tendresse, la politique absurde,
les secrétariats de la connerie...
TU NE POURRAS JAMAIS LEUR
APPRENDRE NI LA DROITE
NI LA GAUCHE
Et c'est ça l'Univers angoissé et méprisant
Allez ! Vite vite vite vite vite
La Musique la Musique la Musique

Ça vaut bien tous les univers socialisés
Socialisant ployés sous la férule et sous l'amour
appris ça vaut les yeux courants les chiens
vertueux sous les chiennes distraites ça vaut
le pic ça vaut le sucre d'orge, Mathieusalem,
ça vaut cette seconde heureuse qui fait les gens
défaits dans leur lit de victoire
The owl's song...
A en perdre la nuit et tous ses camarades
Je dirigeais alors des fantômes bon marché
You know ?
And Markevitch and his owl's cello

Les violons, il faut les prendre comme des
femmes. Et ces femmes qui s'offrent, qui se
prêtent, qui se comptent, qui se vendent, qui se
calculent, qui te calculent aussi et qui s'enervent,
les crins de mon archet les fait gueuler comme
les anges gueulent, je suppose, dans les univers
en allés loin depuis que je m'enchante
à leur queue de voyageurs
Les violons, Mathieusalem, il faut les tordre et
les convaincre, et puis les ajuster, les craindre
aussi, dans ces nuits fantastiques où la musique
les immole sous la floraison nyctalope de mon
ami the owl the owl the owl the owl
J'ai le bec d'un hautbois qui se prend pour la nuit
Et mes souris s'étalent sous mes harmonies
droites comme les béquilles de l'intelligence
LA MUSIQUE INTELLIGENTE...
MATHIEUSALEM ! MATHIEUSALEM !
Dag ACHATZ a refilé sa patte libre à Ravel...
Et ça marche ! A tous les deux ils manchottent
tout ce qu'il y a de bien...
ACHATZ ? Du marbre pur, glacé, comme son
pays... La Suède manchotte, tu connais ?
Il joue pas à la main chaude, Dag, il joue
à la left hand
On dirait que sa left lui a poussé d'un coup
Ferme les yeux, Mathieusalem, ferme les yeux
et tu entendras cinq doigts et mille mains
Les doigts de Dag ACHATZ, ceux de la main
senestre, c'est un peu la comptée de l'ultime
misère, quand Ravel se sonnait Dies Irae en tête
Sa tête des tumultes et puis de la tumeur...
1827... sourdingue le Ludwig
1937... désentêté le Ravel

Léo Ferré
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