Léo Ferré -Le Chant du Hibou

Le Chant du Hibou

pour violon et orchestre
de Léo Ferré

Jean-Baptiste Mersiol lors de sa thèse de doctorat en musicologie nous livre ses réflexions au sujet de l'oeuvre musicale de Léo Ferré : Le Chant du Hibou.
"On pourait voir dans Le Chant du Hibou une oeuvre proche du Bateau Ivre et de La Chanson du Mal Aimé à cette exception qu'elle n'appelle pas la vocalité. Il s'agit là d'une oeuvre entièrement instrumentale. Nous ne savons pas précisément ce qui amena Ferré à écrire cette sorte de "sonate" mais les archives dévoilent un intérêt à utiliser la huitième face du quadruple album L'opéra du pauvre.

Un autre élément devrait cependant nous mettre sur la voie : la rencontre musicale entre Ferré et Ivry Gitlis en 1974, où ce dernier avait improvisé deux mélodies de violon superposés pour le titre Les étrangers et qui confirmait sa volonté d'inclure à la chanson la musique classique.
Cette rencontre aura suscité chez le compositeur une volonté d'écrire un concerto pour violon au concertiste. Pour des raisons que nous ne connaissons pas, Ferré n'a jamais officiellement composé cette pièce pour Gitlis et l'on pourrait se demander si Le Chant du Hibou n'était pas une partie ou ce projet lui-même." (1)

Léo Ferré se confie à ce sujet au micro de Jean-Louis Foulquier en 1987 :
"Je suis allé à Montréal avec un orchestre de jeunes extraordinaire :L'orchestre métropolitain de Montréal... Il y a un autre orchestre, dirigé par un Suisse, que je connais d'ailleurs, qu'ils empêchent de venir me voir, quelle que soit la chose que je fasse quelque part... Tu sais, les chefs d'orchestre sont des gens entourés d'eux-mêmes. Alors, être entouré de soi-même, ça doit être compliqué ! Parce que ça n'en finit plus... On ne se sent plus, quoi !
Je dis ça, parce que c'est une chose qui me dégoûte absolument. J'avais une excellente violoniste, qui avait joué La nostalgie avec moi, où il y a un solo de violon. Et je lui ai donné une cassette du Chant du hibou, que j'ai mis dansL'Opéra du pauvre, qui dure vingt minutes. Et je lui ai dit : "Je vous enverrai la partition d'orchestre, et les parties". Je lui ai envoyé, et je n'avais pas de réponse. Et deux mois, ou trois mois après, elle m'a répondu, en me disant : "Je m'excuse, je ne vous ai pas répondu, parce que nous vivons une vie tragique. Nous avons envie de venir avec vous, en France, parce que, ici, la guilde, qui est le syndicat des musiciens, nous empêche de travailler."

Alors moi, tu comprends, j'ai envie d'aller à Montréal, d'aller dans la rue et de gueuler comme un âne, en disant : "Comment ? Vous empêchez les gens de travailler, vous, le syndicat ? " Mais qu'est-ce que c'est ça ? Je vais réveiller Lénine, je vais lui dire : "Oh, Lénine, tu as vu ce qui se passe ? "

... C'est les nerfs qui me tiennent debout. Parce que... empêcher des musiciens de travailler, je trouve ça dégueulasse ! Il faut le dire, ça. Moi, j'ai beaucoup de facilités de le dire ici, à la radio, mais il faut bien que je le dise quelque part. je le dis chez moi, tout seul. Je gueule chez moi, comme un âne. Tout seul, la nuit, quand je travaille, je me lève, je tape des pieds par terre, je dis : "La guilde, la guilde, la guilde !" Si je les vois, je leur fous mon pied au cul à ces gens-là. Et quand je dis mon pied au cul, je suis gentil. " (2)

Et à celui de Gérard Lemaire en 1990 : "C'est un concerto pour violon, que personne ne joue, bien sûr ! Que j'ai joué, moi, avec ce violoniste italien, fantastique, qui est à la retraite maintenant qui faisait partie de l'orchestre de Milan avec lequel je travaille. Guiseppe Magnani, il s'appelle. C'est un type fantastique. Il y a des gens qui devraient être connus, vous savez. Qui devraient jouer ! Ce type, il a maintenant soixante-cinq ou soixante-trois ans. Il ne joue pas. Pourquoi il ne joue pas ? Parce qu'il n'est pas dans le coup. C'est terrible, vous savez, la musique. La musique vivante, jouée par des hommes vivants. C'est terrible ! Personne ne s'en occupe ou ceux qui s'en occupent ont des combines abominables." (3)

Mais, heureusement,le 1er juin 2013 à Nancy, François Légée a sorti de l'exil Le Chant du Hibou.

Dans ces extraits, Les copains d'la neuille lui donne la parole :
François Légée (4) le disait après La Chanson du Mal-Aimé (Nancy, 22 novembre 2008, CLN n° 16) :
"J'ai envie de m'occuper de ce Ferré musicien, plus particulièrement de tout ce qu'il a fait de 1972 jusqu'à la fin. Pour moi Ferré est un mélodiste génial qui a su trouver l'alchimie redoutablement efficace entre une ligne mélodique, l'harmonie qui va avec et une orchestration adéquate. Ferré, c'est un tout pour lequel il est difficile de détacher l'un de ces éléments constitutifs. Finalement cette efficacité dérange : aller à l'essentiel, en choisissant les effets justes, en lien étroit avec un texte fort.
Pour ceux qui connaissent sa musique, il fait partie de ces musiciens pour lesquels quelques secondes suffisent à dire de qui elles sont.
Écoutez cette phrase de Requiem qui est vraiment magnifique : rien à dire, rien à ajouter. Et puis vous savez, l'important est de savoir si cette musique nous touche ou non, sans références particulières. Moi, elle me touche, alors je la joue."

L'envie de se mettre dans les pas de Ferré quand il retrouve Ferré. Parole tenue après Requiem lors deLa Nuit des Requiem (Nancy, 28 mars 2009), avec Le Chant du Hibou donné, toujours à Nancy, le 1er juin 2013. Quelle affiche ! Ferré avec Saint-Saens, Brahms et Glass, Le Chant du Hibou avec le concerto pour violoncelle et orchestre, Schcksalslied Op. 54 pour choeur et orchestre, Company Quatuor à cordes n°2.

Aucune revanche à évoquer, aucun bec à clouer mais l'évidence de ces rencontres, la beauté de ces rapprochements, que François Légée précise : "Je voulais montrer à travers des époques différentes, à travers des oeuvres totalement différentes comment la mélodie peut être travaillée par certains compositeurs. Après l'ouverture du concert où l'on entend un atelier d'enfants, un simple paysage sonore, sans mélodie, on passe à la musique de Philip Glass où la mélodie est embryonnaire et se construit par ajouts, à celle de Ferré où elle se forme, se trame,existe seule par rapport à l'orchestre qui ajoute des couleurs et une atmosphère, à la mélodie romantique de Saint-Saens qui joue un rôle primordial, pour arriver avec Brahms à un contrepoint de mélodies."
Ce concert qui va à l'envers de la chronologie se voulait "conçu à la manière d'un tableau impressionniste où la couleur serait représentée par le sens de la mélodie des compositeurs : de Glass et ses motifs répétés à Ferré où les sons poétisent en passant par Saint-Saens et Brahms " et par des propositions aux "troublantes coïncidences".

Jusqu'à ce concert,Le Chant du Hibou s'éteignait, exilé en dernière face de L'Opéra du pauvre, banni de sa réédition en CD en 1989, enfermé dans la cire et dans sa partition, jamais joué. François Légée l'a sorti de l'exil, remplaçant l'orchestre symphonique de Milan par Gradus Ad Musicam et Guiseppe Magnani par Mathilde Greco-Légée, remettant dans le vivant cette pièce,Cadence, aria, passacaille et variations pour violon et orchestre fondée sur la variation d'un thème, comme l'était dans un autre registre Métamec... On entend dans Le Chant du Hibou cette façon de Ferré de laisser aller sa musique à une certaine improvisation, à une errance mesurée, sans chercher les développements ou une forme stricte, travaillant la partition du violon comme l'écriture d'un poème. Ses mots mis dans les cordes élevés au- dessus de l'orchestre, disant la mélancolie de l'éphémère, le chant de la nuit et du hibou.(5)

(1) Extrait de "Léo Ferré, auteur de chansons ou compositeur ? un nouveau genre de chanson française" Thèse de doctorat en musicologie 2008 Jean-Baptiste Mersiol

(2) France-Inter émission Pollen de Jean-louis Foulquier 1987
(extrait du livre "Léo Ferré vous savez qui je suis maintenant" de quentin Dupont)

(3) Ici et Maintenant ! (RIM) Interview de Gérard Lemaire en octobre 1990 (extrait du livre "Léo Ferré vous savez qui je suis maintenant" de quentin Dupont) Cette station d'expression française a été fondée le 21 juin 1980 à Paris par Didier de Plaige Guy Skornik, Gérard Lemaire. En 1982, fait sans précédent, la radio diffuse en boucle pendant trois jours et trois nuits la chanson Ludwig de Léo Ferré en réaction à l'attitude de la maison de disque RCA qui tardait à leur envoyer en promotion le triple album source.

(4) Quand François Légée fonde le Choeur et Orchestre Gradum Ad Musicam en 1982 (GAM), il poursuit, avec les quelques amis musiciens qui l'accompagnent à cette époque, un double objectif : aborder le répertoire choro-symphonique avec rigueur et passion, en pariant sur l'énergie déployée pour obtenir l'engagement des musiciens, première étape pour des prestations de qualité. Éclectique dans ses choix, François Légée privilégie les contacts avec des artistes, chanteurs, musiciens, comédiens, metteurs en scène, danseurs avec la volonté farouche depuis plus de 30 ans de créer des passerelles entre les genres et les gens : professionnels, amateurs, jeunes et moins jeunes...

(5) Extrait des articles La Chanson du Mal-Aimé et Le Chant du Hibou "Les copains d'la neuille" n° 16 et 25

--------- Pour ne pas oublier:Le Chant du Hibou : -------------

Cette oeuvre fait partie du quadruple disque vinyl L'Opéra du pauvre
sorti en 1983
(RCA/Gufo del Tramonto)
Orchestre symphonique de Milan, violon solo Guiseppe Magnani
Orchestration et direction d'orchestre Léo Ferré
Editions Gufo del Tramoonto
Enregistré du 10 au 20 avril 1983 et le 10 juillet 1983
Au studio Regson Zanibelli - Milan - Italie

Non repris dans la version CD de L'Opéra du pauvre en 1989 (EPM)
Ressorti dans le CD "Ferré dirige Ravel concerto pour la main gauche " en 1991 (EPM)

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