Léo Ferré - cahiers d'études n° 4

Léo Ferré nous continuons d'aimer
par Luan Rama

extrait de "Cahiers d'études Léo Ferré n°4 : Ecoute-moi"


Lorsque je débarquai à Paris en mars 1991, je vis à la télévision un chanteur étonnant, inconnu de moi, aux cheveux fous et blancs, qui attira mon attention d'une manière particulière. La simplicité et la magie de ses mots, la profondeur des messages de ses chansons, venant d'une âme très sensible, poétique, universelle et douloureuse me frappèrent énormément.
C'était Léo Ferré.

Dès l'instant de cette première rencontre, pendant des mois et les années qui ont suivi, j'espérai toujours le revoir, à la scène ou à la télévision. Je ne savais presque rien de ce chanteur... A mon grand étonnement je ne le revis plus jamais à la télévision. J'entendais peu parler de ses concerts. Qu'était devenu ce bohème de la chanson poétique ?

Plus tard, invité par un ami, Monsieur Billange, à peine entrais-je dans son appartement pour la première fois, que je me surpris de voir Léo Ferré partout en affiches et en photographies. Il était un de ses fans de longue date, un ami qui l'avait accompagné à je ne sais combien de concerts dans toute la France.
Deux ans plus tard, ma vieille passion de cinéaste me reprit.
Pour ce film-ci, à Paris, j'avais trouvé deux êtres exceptionnels, deux aveugles qui étaient tombés amoureux sans jamais s'être vus. On peut demander : "Comment peut-on tomber amoureux en étant aveugle ?"

En écrivant le scénario et en pensant à la réalisation du film, je me suis souvenu d'une chanson de Léo Ferré Monsieur William (texte : Caussimon, musique : Ferré). Un mois plus tard avec un ami cameraman, nous réalisâmes ce film en découvrant et en déchiffrant un monde exceptionnel plein d'humanisme. Jean-luc, poète, écrivait ses poèmes à l'aide d'un ordinateur qui connaissait sa voix, pendant que Mathilde jouait souvent au piano Mozart, Brahms et Chopin.

C'est avec la musique et les chansons de Ferré que nous avons accompagné le couple dans leur milieu familial, dans leurs images noires, leurs promenades dans les rues, leurs voyages et conversations intimes au soir... Deux semaines après, à la fin du tournage, j'étais content, non seulement pour les deux interprètes heureux dans le monde sombre de leur paysage quotidien intérieur, mais aussi pour cette envie de vivre avec ce monde, avec les autres, que l'on voyait tout au long du tournage : "l'amour de l'autre". Nous commençâmes le montage du film en mixant en même temps la chanson de Ferré dédiée aux aveugles.

L'air de cette chanson m'a poursuivi assez longtemps bien après la fin du film.
Léo Ferré ne ressemble-t-il pas à une légende ?
Poète, chanteur, pardonnez-nous, vous avez laissé tant d'amour, alors que nous nous en donnons si peu !
Et pourtant nous continuons d'aimer, accompagnés par vos chansons et votre poésie.
Nous entendez-vous ? Je suis sûr !...




Ambassadeur d'Albanie en France, Luan Rama est l'auteur de Le long chemin sous le tunnel de Platon,
le destin de l'artiste sous la censure en Albanie (1945-1990),
Ed. du Petit Véhicule, 1999.

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