Léo Ferré - cahiers d'études n°10


"La mort complice
n'a jamais pu tuer les poètes"
par José Artur

extrait de "Cahiers d'études Léo Ferré n°10 :
A la seine-Caussimon/Ferré"Frères du hasard


Léo Ferré l'a aimé, admiré, célébré "Le père tranquille de la mélancolie." "Géant timide, gentil comme un aigle rogné, sortant de la manucure." "L'autre jour en voiture, j'ai réécouté Comme à Ostende : quel texte admirable ! Quel talent, Jean-Roger ! Quel grand poète !" "Tout le style de Caussimon s'analyse en raccourcis de gouaille, de riposte au fait établi, de verve aussi." Ils sont morts, n'en parlons plus. Eh bien si, justement, parlons-en. La mort complice n'a jamais pu tuer les poètes.

Comme les autres, Léo en tête, celui-là est parti tout simplement se poser ailleurs. Gravé dans le vinyle, serti de notes, enferré de violence, Jean-Roger savait depuis l'enfance que "les univers sur lesquels se refermaient les rideaux de velours rouge des vendeurs de rêves, seraient pour lui". Le théâtre était son amour, la chanson sa tendresse. Avare de mots, en privé, il en est prodigue en poésie. Quand il n'a rien à dire, il se tait, il ne fait jamais de gestes pour la frime. Passant du malheur tranquille à la révolte des mots assoupis, il écrit dans sa cuisine "des chansons à la paresseuse". .../... Ce créateur d'images n'aimait pas les fonctionnaires de la vie et les plans établis. Il offrait à New York une avenue, l'éternité à la mer qu'on assassine, et la poésie au bistrot du coin. Chaque vie émotive est jalonnée de goualantes, sur les siennes, je me suis marié, j'ai divorcé sur la 13ème avenue, j'ai donné la vie sur Ne chantez pas la mort !

Tel Reiser et Cabu, anges dans la vie, assassins sur papier, Jean-Roger Caussimon était aussi pur dans ses actes que canaille dans ses mots. Au fond, il aurait bien voulu être un mauvais garçon, mais sa maman n'a pas voulu ; ne devient pas Mister Hyde qui veut. C'était un "géant de l'esprit" comme Léo l'entendait ... un poète "allergique à son poil", comme il se définissait lui-même. Depuis 1985, ses cendres reposent dans l'océan. Tu vois, Jean-Roger, pour toi j'ai pris le temps de faire court, trois minutes de préface pour toute une vie de chansons. Je sais où tu es. Pas en enfer, il n'y a que des salauds, pas au paradis, il n'y a que des chieurs. Tu es au purgatoire, le seul endroit qui reste vivable aux déserteurs de l'existence.

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