Léo Ferré - À Charles Baudelaire

À Charles Baudelaire

Texte de Léo Ferré


Si je vous disais "tu", on me prendrait pour qui ? On dirait: Celui-là, il se perche là-haut, dans les nuées, avec ses ailes d'albatros qui donnerait plutôt vers le corbeau..."
Si je te disais "vous", tu deviendrais encore plus froid dans ta dernière terre et tu m'appellerais : Léo ! Viens, allons voir les putes du Boulevard Edgard Quinet, ce n'est pas loin de chez moi, deux pas, allons même au "Monocle", cette boîte où celles qui "sont trop gais" s'en vont se faire une nouvelle virginité qui pèsera pas lourd, dans les quatre heures du matin, au bras d'une "saphique d'occasion".

Ils t'ont pillé, Baudelaire, ils t"ont traîné dans leur Morale, ils disent que tu avais la vérole et que tu en es mort. Ils disent tant de choses, tant de choses dans les manuels de littérature, je dis bien "manuel..." avec tout ce que cela comporte d'inversion intellectuelle. Ils sont tous invertis, ce jour, ils pensent en reculant. Ils préfèrent qu'on les surprenne par derrière, pour ne pas voir, avec leur légion d'honneur, leurs journaux qui vont de l'avant comme des écrevisses, leur Culture avec un granc C comme...

J'ai le sentiment qu'il n'y a plus grand chose à découvrir au club des métaphores. La poésie t'a muselé dans le génie étiqueté, inodore avec de beaux et cons discours qu'on doit faire à ton propos et lors d'une pâle distribution de prix au Lycée de Nevers.

Rimbaud nous a quittés par une porte de secours. Il savait que derrière il devait y avoir "la vraie vie".
Breton a fait une fausse sortie... Il l'a dit, dans l'ambulance qui transportait son urgente dépouille de Cahors à Paris. Il t'aimait bien : je pense qu'il aurait voulu écrire des alexandrins, mais un peu trop comme Valéry, son ami, qui est parti, lui, d'académie française...
Apollinaire a pris de toi ce qu'il pouvait et puis réinventé le Verbe. Il nous a laissé Aragon qui a bien du talent.
C'est tout.
Quand tu me manques, je te mets en musique, humblement.
C'est vraiment la seule rose que je puisse apporter sur ta tombe.

À bientôt.

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